L'individualisation de la peine à l'épreuve du principe d'égalité Article lu 29377 fois, depuis sa publication le 19/01/2011 à 15:15:00 (longueur : 16675 caractères)
L'individualisation de la peine fait partie de ces principes centraux du droit pénal et de la procédure pénale dont les magistrats usent au quotidien, bien souvent sans même y prêter attention. L'article 132-24 du Code pénal dispose à cet égard que les peines et leur régime doivent être fixés en fonction de la « personnalité de l'auteur et des circonstances de l'infraction ». Ainsi, c'est tout naturellement que la sanction pénale tient compte de ces deux éléments. Or, individualiser une peine c'est choisir une sanction différente pour des faits identiques, c'est considérer une personne plutôt que de s'arrêter à la seule commission de l'infraction. L'individualisation devient dès lors une arme contre le principe d'égalité si cher aux justiciables ! A l'heure où la politique pénale se fait de plus en plus répressive, l'individualisation doit-elle conserver sa place au sein de notre système juridique ? N'est-elle pas un frein au principe d'égalité de tous les citoyens face à la justice ?
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Dès lors il faut s'interroger pour savoir si l'individualisation ne remet pas en cause l'égalité devant la justice (1), mais également si le système des peines fixes, prévu en droit anglo-saxon, ne constitue t-il pas un progrès pour l'égalité (2).
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1) L'individualisation de la peine : une remise en cause de l'égalité devant la justice ?
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Comme l'écrivait Tarde, « le malheur est qu'individualiser la peine, c'est l'inégaliser pour des fautes égales ». Selon lui, il est primordial de tenir compte du sentiment d'injustice apparent pouvant naître parmi les condamnés. L'idée de justice doit se présenter sous la forme d'une égalité de traitement.
A priori donc, les deux concepts que sont l'égalité et l'individualisation peuvent apparaître contradictoires. En effet, l'égalité dans la peine se traduit par une même peine pour un même acte, tous deux définis par la loi, tandis que l'individualisation se traduit par l'idée selon laquelle chacun sa peine selon sa personnalité et les circonstances et l'acte . Comme le rappelle Madame Barberger, cette opposition apparente entre les deux principes se traduit quotidiennement et très concrètement dans les salles d'audience (C. Barberger, in R. Ottenhof, L'individualisation de la peine, De Saleilles à aujourd'hui, édition Eres, p. 207.). Ainsi, peut-on entendre fréquemment : « surtout pas plus que mon voisin » (principe d'égalité), mais également : « pour moi la peine la plus faible possible » (individualisation). Une opposition apparente donc, qui, à y regarder de plus près, n'est pas insurmontable.
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En effet, il convient tout d'abord de noter que selon Saleilles l'individualisation est au service de l'égalité. La personne punissable n'est pas un citoyen abstrait, mais bien un délinquant concret. Il pose comme postulat de départ que tous les hommes ne sont pas égaux dans leur aptitude de responsabilité, c'est pourquoi ils ne doivent pas subir la même peine. Tout homme placé dans une situation identique et accomplissant une infraction doit subir la même peine, c'est le principe d'égalité. Or, dès lors qu'est considéré l'idée selon laquelle tous les citoyens ne disposent pas du même degré de responsabilité, les différences de peines peuvent se concevoir plus aisément. Dans la pensée de Saleilles l'individualisation est un moyen au service de l'égalité, dans une perspective de justice. L'individualisation est un outil pour l'égalité car elle permet de considérer plus que la seule commission de l'infraction, les circonstances de celle-ci et la personnalité des personnes l'ayant consommée.
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Ensuite, force est de constater la véritable souplesse de l'individualisation. Au regard du code pénal, les opérations d'individualisation sont nombreuses.
Tout d'abord, en cas de délit ou de contravention de 5ème classe, la juridiction peut prononcer une peine alternative ou de substitution à la peine principale. Il peut s'agir d'une peine de jours-amendes (art. 131-5 CP), ou encore de l'accomplissement d'un stage de citoyenneté (art.131-5-1 CP). L'individualisation intervient donc dès ce premier temps. Ensuite, le juge pénal dispose d'une grande liberté pour définir le quantum de la peine, le code pénal ne définissant qu'une peine maximum, sauf en matière criminelle. En outre, le juge pénal décide s'il accompagne ou non la peine principale d'une peine complémentaire (confiscations, interdiction professionnelle…). Ces peines présentent une fonction préventive de récidive, et visent le condamné au travers d'actes précis. Enfin, le juge pénal dispose d'options concernant les modalités d'exécution de la peine. Il peut soit aggraver la peine, soit l'adoucir considérablement.
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L'individualisation des peines peut être un outil pour l'égalité, car considérer deux personnes de la même manière cela ne signifie pas pour autant nier les caractéristiques propres de chacune. L'égalité est donc nécessaire pour une individualisation plus satisfaisante. Ainsi, et malgré plusieurs difficultés non négligeables, l'individualisation de la peine ne vient pas à remettre en cause l'égalité devant la justice. Cette réponse est-elle néanmoins suffisante ? Dans la mesure où de nombreuses personnes émettent des doutes et des craintes au regard de l'égalité de traitement face à la justice, et dès lors qu'il existe dans le droit anglo-saxon un système de peines fixes, il paraît cohérent de s'interroger en vue de savoir si le système des peines fixes peut constituer un réel progrès pour l'égalité.
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2) Le système des peines fixes : un progrès pour l'égalité ?
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Nous avons démontrés que l'individualisation d'une peine à raison de la personnalité de l'auteur et des circonstances de l'infraction ne remet pas en cause, tant d'un point de vue théorique que pratique, l'égalité de tous les citoyens devant leur justice. L'individualisation ne freine pas le principe d'égalité, c'est un premier constat. Mais ce constat n'est pas suffisant. En effet, face au système de personnalisation des peines français il existe le système des peines fixes anglo-saxon qui se présente comme étant la meilleure opportunité d'avoir un système juridique pleinement égalitaire. C'est ici la deuxième analyse qu'il faut conduire : le système des peines fixes est-il plus efficace en termes d'égalité que ne l'est celui de l'individualisation ?
L'objet de l'étude portera ici sur une comparaison entre les systèmes anglais et américain, et le système français. Les différences culturelles n'empêchant nullement une appréciation qualitative.
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Dès le départ, les juges français se penchent davantage sur la personnalité des délinquants que leurs homologues britanniques. Les institutions françaises organisent un véritable face à face entre le juge et l'accusé là où en Angleterre les missions sont effectuées par les travailleurs sociaux, voire par les policiers. En France, durant l'instruction, le juge dispose de longues heures d'interrogatoire avec le mis en examen. La procédure pénale française organise et encourage la connaissance par le magistrat de la personne qu'il va juger. A l'inverse, l'Angleterre et les Etats-Unis semblent davantage préoccupés par l'idée d'une égalité abstraite face à la justice. Cela se matérialise notamment par les fameux guidelines, qui correspondent à des tarifs indicatifs de peines édités soit par la Cour suprême, soit par le législateur lui-même. L'idée des guidelines a été développée aux Etats-Unis en 1977, en réponse aux critiques de plusieurs magistrats (M. Frankel, Criminal Sentences : Law without Order, New York, Hill and Wang, 1972). Il s'agit d'imposer aux autorités des critères pour la détermination de la peine. Concrètement, une peine est prévue pour chaque situation au regard de la combinaison de deux paramètres, la conduite délictueuse avec toutes ses qualifications de fait et de droit et les caractéristiques du condamné (primo délinquant ou récidiviste). Le juge est tenu d'imposer la peine prévue, sous réserve des circonstances aggravantes ou atténuantes. La Cour suprême a validé la constitutionnalité des guidelines (Décision Cour suprême United States v. Mistretta, 109 S. Ct. 647 (1989).
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Ainsi, on constate aisément que la perception de l'arbitraire n'est pas identique de chaque côté de la Manche. Dans la mentalité du common law, l'arbitraire est associé à l'imprévisibilité du comportement de l'autorité, d'où l'instauration des guidelines. Dans cette perspective la règle doit bien davantage être prévisible que dépendre de la personnalité d'un juge. L'individualisation suppose ici une marge d'appréciation qui n'est pas acceptée. En France, l'injustice est perçue comme une inadéquation d'une décision à une situation, d'où une préférence pour la substance plutôt que pour la forme. Ici, construire une égalité réelle c'est s'intéresser à la nature des individus.
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Depuis Tocqueville le sentiment d'égalité est un principe fondamental de bon fonctionnement dans une société démocratique. Il exprime notamment le souhait de tout citoyen d'être traité identiquement devant la justice et, a contrario, le rejet de l'arbitraire. Or, l'individualisation peut être ressentie comme étant arbitraire, tant ses conditions ne sont pas posées clairement. Il paraît difficile à distance d'évaluer la justice d'une peine lorsque sa détermination ne concerne pas uniquement les éléments du dossier, mais également des rapports sociaux voire le casier judiciaire. C'est là la première force du système des peines fixes : les citoyens peuvent se sentir réellement et concrètement égaux face à la justice dès lors que l'individualisation est mise de côté. Le juge anglo-saxon va quand même se pencher sur les circonstances de l'infraction, mais il dispose d'une ligne de conduite, les guidelines, qui lui permettent de savoir précisément quelle sanction il doit appliquer pour tel ou tel type d'infraction. En outre, les délinquants savent précisément à quoi s'attendre en termes de peines dès lors qu'ils sont appréhendés par les autorités policières.
Ensuite, les prévenus, et notamment ceux qui sont incarcérés, sont les premiers à revendiquer des peines davantage fixes. La peine fixe procure le sentiment immédiat de la justice. Ce sentiment de justice joue un rôle essentiel au sein de l'institution judiciaire. Un détenu subissant une peine l'acceptera d'autant plus qu'il sait qu'à sa place n'importe quel citoyen se retrouverait avec à peu près la même sanction.
Enfin, le système des peines fixes permet à l'Etat de reprendre la main sur le thème politique central que constitue la sécurité. Le pouvoir politique constatant une clémence trop grande des juges fixera lui-même des guidelines ou peines planchers. Cela permet de rassurer l'opinion et de raviver le sentiment de sécurité et donc d'égalité.
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Pourtant, force est de constater que les forces théoriques de ce système paraissent bien maigres si on les compare à ses effets néfastes.
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Tout d'abord, ce système à des effets contradictoires. Les réformes ont provoqué un renforcement substantiel de la gravité des peines (D. Fogel, Le débat américain sur la politique du sentencing : dix années de combat, APC, 1982.248). Ce renforcement que certains qualifient d'overpunishment, entraîne des effets qui contredisent les principes de modération ou encore d'équité. Les peines fixes, qui ont notamment été conçues pour assurer une certaine égalité raciale devant la loi, semblent pénaliser davantage les populations défavorisées. Elles se retournent finalement contre celles et ceux qu'elles doivent protéger prioritairement. La population pénale américaine, qui a triplé en quinze ans, se compose surtout de jeunes noirs venant des quartiers défavorisés des grandes villes. Prenons l'exemple de la ville de Chicago. Les noirs représentent à eux seuls la moitié des condamnés à une peine de plus d'un an de prison, soit un taux huit fois supérieur à celui des blancs (J-P. Jean, L'inflation carcérale, Esprit, octobre 2005, p. 118), alors qu'ils ne représentent que 35 % de la population de la ville. La justice ne fait que constater (ou participer selon les opinions) à la fracture sociale qui s'opère et le système des peines fixes ne fait alors état que de ses limites.
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Ensuite, le système des peines fixes contribue à l'abandon du principe de proportionnalité de la peine à la gravité objective de l'infraction. Cet abandon a été consacré par la Cour suprême dans l'affaire Harmelin v. Michigan de 1991, dans laquelle elle affirme que la peine de prison à vie prévue par une loi du Michigan pour la possession de plus de 650g de cocaïne ne viole pas le 8ème amendement. Les peines automatiquement délivrées ne peuvent s'adapter à la réalité matérielle et concrète des faits. Cela aboutit en outre à une criminalisation à géométrie variable en raison des différences de normes qui existent entre les Etats. Ainsi, en Louisiane, une voie de fait avec une arme dangereuse est punie de la même façon que le fait de retirer du parking un chariot sans autorisation Louisiana Revised Statutes, Title 14, art. 37, al. 2 et art. 68.1, A ). L'idée d'automaticité se retrouve dans la nouvelle théorie criminologique américaine consistant à mettre hors d'état de nuire les récidivistes : « Three strikes and you're out », trois fois pris et vous êtes exclu du jeu. Il s'agit d'une peine automatique qui est prononcée lorsque la personne a commis plusieurs délits graves. La nouvelle politique pénale américaine tend à se baser sur les faits commis antérieurement pour toute infraction nouvellement commise, ou comment le passé d'un homme fait du système des peines fixes la plus grande des injustices !
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Enfin, le système des peines fixes a un effet de surpopulation des lieux de détention qui n'est pas sans conséquences. La Cour suprême a admis que l'augmentation des incarcérations pourrait justifier une érosion des droits. La violence dans les prisons devient également banale. L'automaticité de l'envoi en détention engendre logiquement et nécessairement ce type de phénomènes. Plus grave encore, l'envoi en prison d'une population qui n'a pas à y être en raison notamment de la faible gravité de l'infraction commise, peut conduire à la « fabrication » de nouveaux délinquants.
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Au final, peut-on dire que le système des peines fixes tel qu'il existe dans les pays du common law est un progrès pour l'égalité ? Si d'un point de vue théorique ce système permet un sentiment d'égalité, concrètement les disparités demeurent, voire même s'accroissent. En effet, le système proposé paraît bien davantage être un leurre qu'une réelle avancée. Le thème de l'égalité devant la loi est relayé par une polarisation excessive sur l'égalité de traitement. L'homme est évacué au profit d'une logique purement économique qui est à l'origine de l'exclusion sociale. La force abstraite de ce système s'estompe et s'efface devant la réalité quotidienne de la justice. On retrouve ici tout l'intérêt d'une individualisation de la peine.
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L'individualisation de la peine conserve tout son intérêt dans notre société contemporaine. Elle reste le symbole d'une justice rendue au nom du peuple, mais surtout rendue par des gens du peuple que sont les magistrats. Tant que la justice sera rendue par les Hommes elle conservera toute son humanité et l'individualisation sera sauve, et il n'est nul besoin pour cela de la confier de façon systématique aux jurés populaires.
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ARNAUD DELOMEL
élève avocat à l’EDAGO - master 2 droit privé général parcours droit pénal
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Article extrait du numéro 204 du magazine RiskAssur-hebdo : http://www.riskassur-hebdo.com/num_204.php
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