La Maîtrise des Risques : aux origines du risk management moderne

Alors que les entreprises cherchent plus que jamais à renforcer leur résilience, la relecture du livre visionnaire d'Erik Kauf, La Maîtrise des Risques, publié en 1978, s'impose comme une clé de compréhension indispensable de la genèse du risk management moderne. Un texte fondateur, toujours d’actualité, à (re)découvrir d’urgence.

I. Un contexte historique : l'entreprise face à la mutation des risques

Dans l'immédiat après-guerre, les entreprises françaises, à l'instar de nombreuses sociétés européennes, bâtissent leur développement économique sur un paradigme simple : produire, croître, et s'assurer. L'assurance, perçue comme une protection suffisante face aux aléas de la vie industrielle, accompagne le développement des grandes infrastructures, des sites de production et du commerce.

Mais dès les années 1960-70, une série de transformations profondes bouleverse la donne : les risques deviennent plus nombreux, plus complexes, plus coûteux. Les grands incendies, les accidents industriels, les litiges en responsabilité civile, les pertes d'exploitation massives et les atteintes à l'environnement se multiplient. L'assurance ne suffit plus. Elle devient même parfois inaccessible, inadaptée ou trop onéreuse. Le modèle est à bout de souffle.

C'est dans ce contexte qu'émerge, dans les grands groupes français, la nécessité d'une nouvelle stratégie de protection globale : la « maîtrise des risques ».

II. Erik Kauf, précurseur d'une approche intégrée de la gestion des risques

Erik Kauf, juriste et expert en assurances, est l'un des premiers à conceptualiser cette bascule dans son ouvrage de 1978, La Maîtrise des Risques. Le livre, à la fois théorique et pratique, repose sur une intuition simple mais fondatrice : il ne s'agit plus seulement de s'assurer, mais de gérer le risque dans sa globalité, en amont, en interne, et en connaissance de cause.

Erik Kauf identifie très tôt les limites d'une approche assurantielle pure : elle ne pousse pas à prévenir, elle décourage parfois l'initiative, et elle laisse les entreprises démunies lorsque les couvertures ne suivent pas. Il observe que les grandes entreprises commencent à internaliser la gestion des sinistres, à cartographier les risques, à développer des politiques de prévention, voire à créer des structures d'auto-assurance. Ce sont les prémices du risk management.

Il distingue ainsi trois temps de la maîtrise des risques :

- Analyser les risques : connaître et comprendre les sources d'incertitude (techniques, humaines, environnementales, économiques).
- Réduire les risques : mettre en œuvre des actions de prévention, de protection, de formation, d'organisation.
- Financer les risques : arbitrer entre assurance, rétention, mutualisation ou création de structures alternatives (captives, auto-assurance…).

III. Une méthodologie avant-gardiste, encore pleinement d'actualité

L'un des apports majeurs du livre est de structurer une démarche méthodologique rigoureuse, qui pose les bases de ce qui deviendra la norme dans les années suivantes :

- Identification et cartographie des risques (physiques, juridiques, financiers, sociaux, etc.).
- Évaluation qualitative et quantitative de la fréquence et de la gravité des sinistres.
- Définition d'un programme de gestion : délégation, transfert, rétention, couverture, amélioration continue.
- Suivi organisationnel : nomination d'un responsable des risques, intégration aux comités de direction, reporting structuré.

Ce cadre de travail, encore balbutiant à la fin des années 1970, sera progressivement repris, formalisé et enrichi jusqu'à devenir le socle des référentiels contemporains (ISO 31000, COSO ERM, Solvabilité II…).

IV. La Maîtrise des Risques : plus qu'un livre, une philosophie managériale

Erik Kauf ne se contente pas de livrer une technique. Il propose une philosophie de gouvernance fondée sur la responsabilité, l'anticipation et l'intelligence organisationnelle. Dans sa vision, la maîtrise des risques est indissociable du projet d'entreprise : elle conditionne sa survie, sa crédibilité et sa capacité à innover. Elle n'est pas un coût, mais un investissement. Elle repose sur une culture de la prévention, de la transparence et de l'engagement collectif.

Il pressent également l'évolution de la fonction assurance : de prestataire externe à partenaire stratégique, capable d'accompagner l'entreprise dans l'analyse et le traitement des risques, au-delà du seul transfert.

V. Pourquoi relire Erik Kauf aujourd'hui ?

En 2025, alors que les entreprises font face à des menaces hybrides – cyberattaques, crises climatiques, ruptures d'approvisionnement, conflits sociaux, pression réglementaire – la relecture de cet ouvrage visionnaire s'impose.

À l'heure où l'on parle de résilience, de gouvernance des risques, d'entreprise responsable et de performance durable, les enseignements d'Erik Kauf résonnent avec une actualité frappante. Sa pensée rappelle une vérité fondamentale : on ne maîtrise que ce qu'on comprend, ce qu'on mesure, et ce qu'on anticipe.

Un classique à redécouvrir pour penser l'assurance de demain

« La Maîtrise des Risques » n'est pas seulement un livre d'histoire ou un manuel technique. C'est un texte fondateur qui a contribué à faire entrer les entreprises dans l'ère moderne de la gestion des risques. Il continue d'inspirer celles et ceux qui, dans l'assurance, le conseil, l'industrie ou le secteur public, veulent construire des organisations plus sûres, plus responsables et plus pérennes.

Un ouvrage indispensable, à (re)mettre entre les mains de toutes les directions générales, responsables QHSE, risk managers, assureurs et jeunes diplômés qui veulent comprendre comment est née l'idée – aujourd'hui évidente – qu'il vaut mieux prévenir que guérir.