Préparation d'un instrument juridique sur la diversité biologique en haute mer
Article lu 26812 fois, depuis sa publication le 22/04/2016 à 07:52:36 (longueur : 5167 caractères)
Une session de deux semaines, réunissant les représentants des 196 Etats membres de l'ONU, vient de débuter à New-York, qui est la première rencontre d'une série de quatre, programmées en 2016 et en 2017.
Leur objet est de définir le champ des discussions qui devraient à terme aboutir à un futur accord, qui répond pour l'heure à l'acronyme BBNJ, pour Biodiversity Bayond National Jurisdiction.
Cette première session va donner le ton sur des sujets très sensibles comme le partage des ressources génétiques marines et des savoirs conduisant à leur exploitation, l'obligation de réaliser des études d'impact environnementales avant tout projet d'exploitation en plein no man's land océanique.
Il s'agit d'établir un accord international portant sur 55 % de la surface du globe, préparatifs des futures règles régissant un colossal espace, la haute mer, qui n'en compte pratiquement aucune pour le moment.
De la surface jusqu'aux fonds, et aux sous-sols, cet univers de quasi-non-droit commence, une fois dépassé les zones économiques exclusives de 200 milles nautiques, soit à 370 km des côtes, les ZEE et au-delà des plateaux continentaux sur lesquels les pays maritimes ont un droit de regard.
A l'issue de ces quatre rencontres, des propositions seront soumises à l'Assemblée générale de l'Organisation de Nations Unies qui devrait décider d'ouvrir des négociations officielles.
Le processus diplomatique peut paraître long, sans même tenir compte des dix années de préparation qui ont permis d'en arriver là.
Aujourd'hui, la navigation y est de plus en plus intense, la pêche qui ne s'éloignait guère des côtes autrefois y est en plein essor.
Si l'exploitation pétrolière se cantonne pour le moment aux ZEE, l'exploration de nodules ou de sulfures polymétalliques se développe en haute mer.
Les dépôts de brevets sur des organismes marins qui intéressent les secteurs pharmaceutiques, cosmétiques et agroalimentaires augmentent de 12 % par an, selon l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, Ifremer.
On commence aussi à mesurer que l'océan est à la fois victime et clé du réchauffement climatique.
En 1982, lors de l'adoption de la convention de Montego Bay à la Jamaïque, sur le droit de la mer, on était loin, après douze années de laborieuses discussions, de parvenir à un accord sur la protection de la haute mer.
Dans les années 1970, où elles eurent lieu, les connaissances sur les écosystèmes en haute mer étaient très limitées, on savait qu'il y avait des thons et quelques ressources minérales, mais pour le reste on imaginait que la vie ne pouvait pas se développer dans les grands fonds où la photosynthèse est impossible.
A cette époque l'idée que les ressources de l'océan étaient inépuisables était encore présente et aujourd'hui, à peine 3 % des fonds marins sont cartographiés.
L'un des soucis sera de protéger les zones remarquables, dont il faudra dresser la liste, comme par exemple les étonnantes cheminées hydrothermales hautes de 50 à 60 mètres, reposant au milieu de l'Atlantiques et mis en évidence par le professeur Callum Roberts, biologiste de l'université britannique de York et qualifiées « d'aires marines protégées « les AMP.
Le professeur Callum Roberts est venu à Paris, au mois de mars pour rencontrer des représentants du ministère des affaires étrangères français, pour leur demander de défendre avec lui les AMP à New-York, ce qu'ils sont disposés à faire, car chacun pousse ses pions, dans la perspective des négociations BBNJ.
Il vient de publier, à ce sujet une étude dans la revue Conservation Lettres concluent, pour éclairer sa demande, que 30 % des mers devraient impérativement être placées sous protection, dont 10 % d'ici 2020.
Les diplomates français se réjouissent de participer à la vraie grande négociation internationale des cinq à dix prochaines années, à condition qu'elle ne cale pas, en cours de route.
Quant à Callum Roberts, très engagé, il tient une liste des zones remarquables, les plus vulnérables ou les plus riches en biodiversité, de Madagascar à Hawaï.
Par ailleurs, des travaux scientifiques en ce sens sont en cours, sous les auspices de la Convention sur la diversité biologique.
Le Groupe du G 77, composé des pays en développement, insiste sur la question du partage des ressources et ne veut être dépossédé en quoi que ce soit.
Il veut sortir de la règle du jeu actuel du « premier arrivé, premier servi » selon lui, profondément injuste et est prêt à soutenir en échange les efforts européens pour les AMP.
Les Etats membres de l'Union européenne, qui se réunissent tous les deux mois à Bruxelles, sans partager la vision des ONG sur la mise en place de vastes sanctuaires marins inviolables s'apprêtent à batailler avec les Etats Unis, la Canada, le Japon et un certain nombre d'autres pays, pour leur faire accepter, le principe sous une forme moins absolue.
La France est très active au sein de l'Union européenne et prône notamment, pour ce qui concerne le partage des bénéfices, un accord ambitieux, sans gêner la recherche.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef