La segmentation des pratiques alimentaires est en marche
Article lu 27554 fois, depuis sa publication le 17/03/2017 à 07:33:36 (longueur : 5380 caractères)
En France, il n'y a pas de cuisine nationale, mais une multitude de cuisines régionales, ce qui n'empêche pas des Alsaciens de manger de la bouillabaisse et des méridionaux d'aimer la choucroute, ou encore des spécialités étrangères comme les pizzas italiennes, adoptées par les Français, au point qu'ils en consomment plus que les Italiens.
Cependant, aujourd'hui, à en croire une enquête mondiale de Nielsen sur l'alimentation, 37 % des Français excluent au moins un aliment de leur « grand ordinaire ».
A en croire cet institut, de plus en plus d'individus choisissent une alimentation particulière pour diverses raisons, sanitaires, éthiques ou spirituelles, en fonction de l'air du temps, en plus des traditions religieuses et familiales, pratiquées de tout temps et des régimes imposés pour des raisons médicales, notamment des régimes sans sel, sans sucre, sans gluten, voire sans corps gras.
Si dans l'alimentation des Français les fruits et les légumes, avec la recommandation imprécise de 5 fruits et légumes par jour, que l'on voit fleurir un peu partout, font un retour remarqué depuis 3 ans, en tête en 2016 les courgettes et kiwi, on ne sait pas trop pourquoi, alors que la viande poursuit son recul, depuis l'affaire de la vache folle, qui remonte aux années 1990.
Par viande, les Français entendent surtout la viande rouge, en mangeant principalement de la vache laitière de réforme de plus de 7 ans d'âge, à manger de préférence en daube, en bourguignon ou en viande hachée, plutôt qu'en steak grillé.
Selon une agence de style de vie, il suffit d'inviter une dizaine de personnes à dîner, pour s'apercevoir que les uns se disent allergiques, les autres suivent un régime ou ne veulent plus consommer ni viande, ni produits laitiers, qui y voit la perspective d'une hyper segmentation de l'offre alimentaire.
Un étudiant en géographie de l'environnement explique sa présence dans un restaurant végan par le passage à Paris d'une copine végétalienne, alors que lui n'a pas renoncé, pour sa part à un bon steak bien saignant.
Pour Nielsen, sur un marché atone des produits de grande consommation l'expansion passera de plus en plus par des niches auxquelles il faut préparer le consommateur.
Dans la grande distribution, Nielsen prévoit, une croissance annuelle de 30 % pour les produits végétaux comme les steaks et yaourts de soja, qui partent d'un marché confidentiel, de 50 % pour les produits sans gluten et de 15 % pour le lait sans lactose.
La découverte du grand public est le secteur du BIO qui progresse à grand pas dans l'agriculture, poussé par la demande de la distribution.
L'agriculture, à la recherche d'une meilleure rentabilité trouve dans le Bio de meilleurs prix pour ses produits, dans un univers tourné de plus en plus en direction de la défense de l'environnement et de la biodiversité.
La consommation de produits bio se démocratise en répondant à de nombreuses attentes au point qu'aujourd'hui 70 % des Français en mangent au moins une fois par mois et 15 % tous les jours, mais ils ne mangent pas que ça.
Les ventes ont bondi de 20 % en 2016, à 7 milliards d'euros et de 15 % depuis janvier de cette année, selon l'Agence Bio.
A présent, ce segment du marché alimentaire représente environ 3% du marché alimentaire.
Certains consommateurs ne croient pas à la sincérité du bio et n'en achètent pas, s'ils ont le choix, mais sans être contre, tandis que d'autres ne mangent plus que du bio.
Rééquilibrer un budget plus largement consacré au bio peut par ailleurs expliquer en partie la réduction de la consommation de viande, généralement le premier poste, avec le poisson, d'un budget alimentaire.
Selon l'étude Vigie alimentation 2016-2017, publiée récemment par Futuribles, le bio est vendu plus cher en moyenne que son équivalent conventionnel, de 20 % à 25 % selon l'Agence Bio et de 50 % à 100 % selon Nielsen, en sachant que les écarts de prix ont tendance à se réduire.
Aujourd'hui, il y a un grand désarroi des consommateurs, notamment à propos du gluten et un nombre croissant de personnes consultent pour savoir ce que l'on peut encore manger constatent des médecins nutritionniste, dont cette situation fait le bonheur.
La défiance porte sur les produits dont la liste noire s'allonge tous les jours, depuis le scandale de la vache folle de la fin des années 1990.
L'observatoire alimentaire Ocha qui travaille depuis 2012 sur la montée des alimentations particulières montre que les « anti » visent de plus en plus des pratiques d'élevages et d'abattages d'animaux, de transformation industrielle ou critiquent des approches comme la restauration rapide, qui désorientent les consommateurs.
Les réseaux sociaux leur offrent une formidable caisse de résonance, qui a permis à l'association L214 Ethique et Animaux de plus que doubler son nombre de membres, en un an.
Les grandes surfaces s'engagent les unes après les autres, dans des opérations « mains propres » en s'engageant à réduire la présence de pesticides dans les produits agricoles présents dans leur gamme de produits.
Les spécialistes réfléchissent à la façon dont on va modifier sa façon de manger pour continuer à rêver la nourriture comme un lien social, tout en permettant à chacun de puiser ce qu'il veut, comme sur un buffet.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef