Réindustrialiser la France : Les moyens de financement ne sont pas au rendez-vous Article lu 816 fois, depuis sa publication le 13/05/2025 à 13:53:23 (longueur : 10882 caractères)
La machine France est en perte de vitesse à tous les niveaux : pour la relancer, la mère de toutes les batailles sera de réamorcer la pompe des investissements et des financements, dans une conjoncture où l'Etat voit ses possibilités sévèrement réduites. En attendant, l'appareil industriel tricolore continuera de s'appauvrir et de voir ses usines fermer. Une situation que les pouvoirs publics empêtrés par une Assemblée sans majorité ne peuvent plus ignorer.
Deux mille vingt-quatre, année grisâtre. Avec pas moins de 71 sites industriels majeurs condamnés ou menacés de fermeture , la France fait grise mine. Et rien n'incite à l'optimisme. Les crises sont nombreuses : elles sont politiques, économiques ou énergétiques. L'année écoulée aura cumulé bon nombre d'aléas, entre une dissolution ratée ayant enfanté un gouvernement incapable de faire voter un Budget et un nombre record de fermeture d'entreprises sur les deux derniers trimestres, avec près de 13 500 entreprises en faillite, soit une hausse de 20% par rapport à la même période en 2023. Les conséquences sont évidentes : des destructions d'emplois, des pertes de revenus pour le Trésor public et un effacement progressif de la France industrielle. « Réindustrialisation : la panne (sèche) se confirme », titrait France Inter en novembre dernier, soulignant que pour la première fois depuis 2020, davantage d'usines ferment par rapport à celles qui ouvrent. Un phénomène au plus haut depuis 2008-2009 qui touche la France, mais aussi l'Europe entière, comme le relève le cabinet de notation S&P Global Ratings.
Des constats sans appel
Depuis plusieurs mois, les mauvaises nouvelles s'enchaînent : début novembre par exemple, le fabricant de pneumatiques Michelin a annoncé la fermeture des sites de production de Cholet (Maine-et-Loire) et de Vannes (Morbihan). Le gouvernement, lui, ne peut que courber l'échine, comme en atteste la déclaration de l'éphémère ministre de l'Industrie Marc Ferracci : « Des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement d'autres dans les semaines et les mois qui viennent. » Ce pessimisme impacte la confiance de l'ensemble des entrepreneurs. Selon le dernier baromètre de l'institut Rexecode, ils sont 56% à penser que le contexte politique a un « impact fort » sur l'activité de leur entreprise ; plus inquiétant encore, 66% d'entre eux estiment qu'ils vont devoir reporter ou annuler leurs projets d'investissement. Pour Rexecode, ce contexte global est révélateur des « fragilités du tissu productif hexagonal ». Selon son directeur général, Denis Ferrand, « face à la dégradation de leur trésorerie et aux interrogations entourant le Budget 2025, les chefs d’entreprise sont circonspects en matière d'investissement et d'emploi ». Le constat est sans appel.
Alors, que faire pour sortir de l'ornière ? Des propositions sont sur la table, comme en témoigne la réflexion commune menée par le think tank Fabrique de l'industrie et par l'IFCAM. Dans leur rapport intitulé « Ce que l'industrie attend des banques », les deux institutions estiment que l'heure a sonné pour une véritable stratégie de partenariat entre État, banques privées et industriels. Objectif : répondre aux besoins financiers de la réindustrialisation que tous les politiques appellent de leurs vœux depuis 20 ans. Ce rapport donne la parole à plusieurs spécialistes appelant à un « réarmement industriel », comme Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. Selon lui, « l'industrie française n'a pas disparu, mais sa vitalisation et sa compétitivité reposent sur des investissements importants supposant, du côté des banques, de faire preuve d'une culture du risque qu'il est temps de retrouver ». Pour relever le pari, il appelle surtout à « reconstituer une culture de banque de l'industrie » afin de « relever le défi du capital-risque industriel ». Comme d'autres, Nicolas Dufourcq préconise par exemple de mettre sur le marché un nouveau produit : la garantie de projet stratégique. « On ne peut pas envisager la réindustrialisation du pays sans que l'État ne couvre une partie significative du risque du secteur bancaire qui, lui-même, réapprend peu à peu à financer l'industrie », souligne-t-il.
Ce refus de la culture du risque est bien au cœur des préoccupations de nombreux chefs d’entreprise français en quête d'investissements. Ceux-ci se heurtent trop souvent à des financeurs ou des investisseurs institutionnels qui rechignent face aux incertitudes, surtout dans des domaines où les fonds investis sont absorbés par la recherche et le développement, sans garantie de résultats à court ou moyen terme, comme l'industrie pharmaceutique par exemple. Les banques traditionnelles sont particulièrement frileuses face aux résultats incertains, obligeant les entrepreneurs à se tourner vers des solutions alternatives. Certaines, comme le crowdfunding, jouissent d'une réputation favorable, mais elles ne permettent cependant pas toujours de lever des fonds conséquents dans la durée.
La mauvaise presse des autres, en France, fait que trop souvent les entreprises, cotées en l'occurrence, n'y font appel qu'en dernier recours, à l'instar des equity line ou des OCA (Obligations Convertibles en Actions). « L'AMF (Autorité des marchés financiers) décourage ce type d'outil parce qu'ils sont risqués, constate Caroline Weber, co-présidente de l'Association européenne des valeurs moyennes cotées en Bourse. Mais je pense que tout système qui permet d'éviter un dépôt de bilan ou une liquidation d'entreprise est bon à prendre. » Là encore, c'est une question d'appréciation du risque. Il s'agit là d’une différence majeure de mentalité avec des marchés plus ouverts à la gestion du risque, comme les États-Unis ou ailleurs en Europe, avec le Royaume-Uni et l'Espagne où le groupe de médias propriétaire du quotidien espagnol nº1 El País a eu recours aux OCA en 2023, à hauteur de 130 millions d'euros. Aucune chance de voir cela en France… Le constat est sans appel, ici aussi : aujourd'hui, les entrepreneurs français font trop souvent face à un casse-tête financier et réglementaire.
Vers un « réarmement industriel »
Et ces entrepreneurs sont nombreux. Ils ne manquent pourtant ni d'idées ni de projets, mais de sources de financement susceptibles de participer au « réarmement industriel » tricolore. Tous les segments industriels sont concernés par la menace de fermeture de sites. On l'a vu dans l'automobile avec Michelin, c'est aussi le cas dans d'autres secteurs. Dans l'agroalimentaire par exemple, la Bretagne vit des heures compliquées avec plusieurs fermetures, comme celle de l'usine de la coopérative Délivert à Plouhinec (Morbihan). « Nous avons finalement renoncé face aux niveaux d'investissement nécessaires, regrette son PDG François Dequesne. Il y a vraiment un double discours en France. D'un côté, on vote une loi Egalim et on réclame une relocalisation des industries, et de l'autre, pas d'actions politiques pour empêcher les importations de légumes contre lesquelles on ne peut pas lutter en termes de prix. Si personne ne veut payer pour cette relocalisation, on n'y arrivera jamais ! »
Dans les régions, la disparition annoncée de ces piliers industriels est synonyme de retour du chômage, de paupérisation des agglomérations avec la fuite des commerces et des services publics, et plus généralement de perte de souveraineté française. Car derrière ces fermetures se cachent des délocalisations ou de futures importations, en particulier de Chine pour les industries lourdes.
« L'incertitude est forte du côté des entreprises ne favorisant ni l'investissement ni l'emploi, déplore Thierry Millon, directeur des études chez Altares. Le point de vigilance portera moins sur le nombre historique attendu des défaillances que sur la fragilité des PME et ETI dont les défauts reportent le risque sur les fournisseurs et l'emploi. » Encore faudrait-il que les pouvoirs publics changent de stratégie, en permettant davantage de marge de manœuvre aux entrepreneurs la création d'un nouveau livret d'épargne décidée par l'ex-gouvernement Barnier ne suffira pas et aux établissements bancaires traditionnels, souvent contraints.
Là encore, l'aversion au « risque » entrave les investissements que seuls des modes alternatifs permettent. Selon Dominique Ceolin, PDG d'ABC arbitrage, « l'Autorité des marché financiers est en alerte parce que les politiques ne veulent pas de problèmes sur les marchés financiers, ces derniers ayant du mal à accepter que, comme tout autre investissement, les marchés financiers constituent un risque et que chacun doit prendre ses responsabilités. » Chacun doit certes prendre ses responsabilités, mais chacun devrait aussi être libre de pouvoir prendre les risques qu'il souhaite, au sein d'un cadre garanti par l'État comme le recommande Nicolas Dufourcq. Car les chefs d'entreprise en particulier dans le secteur industriel ont besoin de voir s'élargir l'éventail des possibilités pour trouver des financements et des investisseurs. Sans cela, toute politique de réindustrialisation, même la plus volontariste, restera lettre morte.
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