La responsabilité pénale des élus locaux dans l'aménagement du territoire
Article lu 35684 fois, depuis sa publication le 06/02/2015 à 07:48:52 (longueur : 4447 caractères)
L'aménagement du territoire se répartit entre aménagements publics, comme les voies de transport et en aménagement privés, soumis à autorisation, comme les constructions nécessitant des permis de construire.
Délivrer un permis de construire n'est pas un exercice innocent, notamment si l'autorité qui le délivre évalue mal les risques auxquels les constructions qui y seront édifiées, avec son autorisation, seront exposées.
On pense depuis toujours aux couloirs d'avalanche en montagne et plus récemment aux risques d'inondation et de submersion le long des cours d'eau et des bords de mer.
En cas de sinistres, la responsabilité de l'autorité qui a délivré le permis de construire n'est pas engagée d'office et doit être établie, en dépit des difficultés à la situer, pour diverses raisons d'ordre pratique.
Le risque a pu évoluer avec le temps, sous l'effet d'un changement climatique ou pour avoir été aggravé par la faute d'un tiers, qui n'a pas entretenu, par exemple la digue, ou la retenue d'eau, dont il avait la responsabilité.
Dans tous les cas de figure, il appartient à l'autorité municipale, proche des personnes exposées, de mettre en place un programme de prévention des risques, d'informer la population de la situation et de mettre en place un système d'alerte, en vue de la survenance d'un danger immédiat.
Cela ne s'est pas passé ainsi dans le cas qui nous sert ici d'exemple, lors de la tempête Xanthia qui, en s'abattant sur La Faute-sur-Mer en Vendée, la nuit du 27 février 2010, en causant la mort de 29 habitants.
Cette affaire, qui vient d'être jugée en première instance et qui illustre notre propos a marqué les esprits, par la sévérité du jugement du tribunal correctionnel des Sables d'Olonne du 12 novembre 2014, qui porte la fois sur la délivrance des permis de construire et sur l'absence de moyens d'alerte et de protection de la population.
Celle-ci qui une fois installée, permis de construire observé, s'est trouvée exposée à des risques qui lui ont été cachés et qu'elle ignorait manifestement.
Le tribunal a condamné, pour cette raison le maire de la Faute-sur-Mer à quatre ans de prison ferme et son adjoint à deux ans de prison, également ferme.
Il leur est reproché de n'avoir « pas pris les mesures pour éviter les conséquences désastreuses de la tempête, en sachant que la commune était l'un des endroits le plus dangereux de la côte vendéenne au regard d'une possible submersion de zones très habitées. »
De plus, il leur a été reproché d'avoir autorisé la construction de pavillons au bord de l'eau, s'en tenir compte des risques encourus par leurs habitants.
Circonstances aggravantes, ils auraient « intentionnellement occulté ce risque pour ne pas détruire la manne du petit coin de paradis, dispenseurs de pouvoir et d'argent » donc pour des raisons mercantiles.
L'Association des maires ruraux de France a soulevé la question de l'implication de la chaîne de responsabilité, du demandeur du permis de construire, aux différents acteurs du dossier, alors que certains élus locaux estiment qu'ils sont confrontés à une « gestion des risques » bien trop lourde pour leurs épaules et ils reprochent à l'Etat d'avoir laissé faire.
Pour le tribunal correctionnel des Sables d'Olonne, « en matière d'information sur les risques, l'Etat a été irréprochable » sauf à considérer, encore une fois, qu'une commune est un organisme décérébré, que l'on doit prendre par la main, ceci est en contradiction totale avec les lois de décentralisation.
D'une certaine manière, le procès a révélé les conséquences d'une décentralisation qui a placé l'Etat en situation de faiblesse, face à des élus locaux qui ont gagné en supplément de puissance, sans disposer des moyens d'y faire face.
En France, observe Thierry Lataste, l'ancien préfet de la Vendée, qui a quitté ses fonctions quelques jours avant la tempête Xanthia :
« Le risque s'oublie, le risque se néglige et la trace des catastrophes s'efface vite, les représentants des services de l'Etat sont perçus comme venant de l'extérieur, n'ayant aucune connaissance de la réalité communale, dont seuls les élus seraient détenteurs. »
Pourtant, et notamment les préfets ont un pouvoir de tutelle sur les collectivités locales, en tant que représentant de l'Etat et doivent intervenir, en son nom, si cela dérape, sans pour autant dégager les élus locaux de leurs responsabilités respectives.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef