L'indemnisation des victimes de dommages corporels toujours en quête de solution
Article lu 32049 fois, depuis sa publication le 30/01/2015 à 07:42:42 (longueur : 4405 caractères)
L'indemnisation des victimes de dommages corporels, en droit commun est un problème juridique qui remonte régulièrement à la surface, sans trouver la moindre approche ou de solution concrète.
C'est un problème choquant parce que l'indemnisation peut varier dans des proportions considérables, selon la juridiction géographiquement compétente, faute d'une disposition légale permettant d'en déterminer le montant.
Les assureurs sont directement concernés, chaque fois qu'ils sont confrontés à une réclamation au titre d'un sinistre corporel, souvent jugée démesurée et appellent de leurs voeux un barème d'indemnisation officiel, qui limiterait les difficultés à traiter certaines demandes.
A défaut d'un barème, ce sont des projets de nomenclatures qui ont fait l'objet de nombreux rapports, d'études, de livres blancs de la part de magistrats, professeurs, avocats et assureurs, même au niveau européen, sans jamais aboutir à la mise au point d'un document susceptible de s'imposer juridiquement.
Tout deviendrait simple, dit-on, si l'on disposait d'un barème d'indemnisation, comme celui qui existe dans le domaine des accidents du travail, mais la jurisprudence de la Cour de cassation n'y est pas adaptée.
En vertu de cette jurisprudence, il faut prendre en compte et indemniser tous les chefs de préjudice subis par la victime, en sachant que chaque victime est un cas particulier impossible à normaliser et que le préjudice à indemniser dépend souvent de la nature de l'activité exercée.
Ainsi un juriste qui perd l'usage d'un doigt peut poursuivre son activité, mais pas un chirurgien ou un violoniste, dont c'est l'outil de travail.
Tous ceux qui se sont lancés, pétris de bonne volonté, sur cette voie n'ont pas dépassé le stade des définitions, sans aboutir à un quelconque barème qui aurait permis de chiffrer le préjudice des victimes.
On arrive toujours au même point, il faut chiffrer le préjudice au cas par cas, avant de pouvoir négocier le bien-fondé de la réclamation, d'abord avec l'assureur du responsable, puis, à défaut d'un accord, le justifier devant un tribunal.
Or les dommages corporels n'ont jamais la même valeur, selon qu'ils sont jugés par le tribunal civil de Hazebrouck où par celui de Nanterre, d'où un projet de décret à l'étude au ministère de la justice, en vue de mettre fin à cette situation, peu satisfaisante pour des esprits cartésiens.
Il faut au moins que la perte d'un bras ou d'un oeil soit cataloguée, pour être indemnisée de la même manière, sur tout le territoire, sous réserve de cas particuliers ; comme ceux cités plus haut.
La solution la plus avancée est la nomenclature Dintilhac qui, cependant, ne permet pas, plus que les autres, de quantifier le montant des préjudices corporels à indemniser ce qui, d'ailleurs n'a pas été, son objectif.
Cette nomenclature est le fruit des réflexions menées en 2005 par le groupe de travail dirigé par Jean-Pierre Dintilhac, alors président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation et qui fait office de référence dans ses domaines d'application.
Au stade actuel, le ministère de la justice a lancé une consultation publique, qui s'est terminée le 20 décembre 2014.
Il était demandé aux usagers du service public de la justice, victimes de dommages corporels et aux professionnels, de donner leur avis sur un projet de décret instaurant une nomenclature des postes de préjudice à indemniser, résultants d'un dommage corporel et auquel il manque la base réglementaire à lui trouver.
En fait, cette consultation avait pour objet de réunir les éléments nécessaires à l'établissement des annexes au décret, qui en seront les éléments essentiels.
Il s'agit de répertorier et de définir les listes de préjudices à caractère patrimonial et extrapatrimonial, susceptibles d'être subis par les victimes, directes ou indirectes, d'un dommage corporel, en se référant à la nomenclature Dinthilac, sans doute la plus complète en la matière et qu'il suffirait d'intégrer au décret en préparation.
Cette nomenclature sera censée favoriser l'égalité entre les victimes, par la référence à des postes de préjudice clairement identifiés mais, sans pour autant, porter atteinte à la libre appréciation du juge, ce qui marque la limite du projet, telle que défini par le ministère.
Ce serait une première avancée mais pas la solution attendue.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef