Evolution des nappes phréatiques face au réchauffement climatique
Article lu 32314 fois, depuis sa publication le 26/06/2015 à 07:43:11 (longueur : 4537 caractères)
Cette année, en 2015, le Bureau de recherche géologiques et minières, le BRGM, chargé du suivi de la situation des nappes phréatiques ou souterraines en France, a été en mesure d'afficher, début avril, pour 83 % des nappes, un niveau égal ou supérieur à la moyenne de la période 1981-2010.
C'est uns situation que l'on peut qualifier de « plutôt favorable » même si elle n'égale pas les niveaux exceptionnels atteints les deux années précédentes, qui ont présenté un excédent global de 20 %, grâce à de fortes précipitations.
Cependant, la carte de France des réserves d'eau est généralement contrastée car le Sud-Est, comme le bassin Artois-Picardie ont des sous-sols les plus humides tandis que l'Est du territoire est en déficit par rapport à la normale.
Le niveau du remplissage des aquifères au début du printemps, disons en avril, est primordial, après les pluies de septembre à avril, il se stabilise ensuite, avant de connaître une décrue généralisée, lorsque les pluies retournent vers l'atmosphère du fait de l'évaporation.
Dans ces conditions, rien n'est encore joué cette année estime l'hydrogéologue du BRGM, Philippe Vigouroux, il faut rester vigilant dans certaines régions bien que le niveau actuel permette d'envisager sereinement la prochaine période estivale, celle où les nappes phréatiques seront le plus sollicitées pour l'irrigation des cultures.
La France dispose, en règle générale, de 100 milliards de m3 de ressources aquatiques souterraines dont près d'un tiers est prélevé chaque été pour répondre aux besoins saisonniers, l'alimentation en eau potable, l'irrigation des cultures et les usages industriels.
En somme, on y puise l'été, pour satisfaire les besoins et on attend l'automne et l'hiver pour que les réserves se reconstituent.
La question qui se pose est de savoir comment les eaux souterraines se comporteront face à l'épreuve du réchauffement climatique.
Pour répondre à cette question, le BRGM a pris pour hypothèse une hausse de 2 degrés des températures à l'horizon 2070, qui n'est pas la plus pessimiste, puisque cette hausse est annoncée pour la fin du siècle seulement, sans limitation, entre-temps des émissions de CO2, objet de la prochaine conférence sur le climat.
En se projetant vers l'avenir, le BRGM a utilisé des modèles montrant qu'en raison d'une évaporation accrue et de l'assèchement des sols, conditions défavorables aux infiltrations d'eau en profondeur, les aquifères connaîtront une baisse quasi générale, comprise entre 10 % et 25 % de la charge en eau, mais variables, d'une région à l'autre.
Deux zones seront plus sévèrement touchées que d'autres, le bassin de la Loire avec un recul de 25 % à 30 % sur plus de moitié de son bassin-versant et surtout le Sud-Ouest, avec une chute de 30 % à 50 %.
La diminution de la recharge des nappes souterraines pourrait entraîner une forte baisse du débit moyen des cours d'eau, estimé de 10 % à 40 % dans la moitié nord du pays et de 30 % à 50 % dans la moitié sud, avec localement des extrêmes à 70%.
La ressource souterraine étant appelée à se raréfier, il conviendrait d'optimiser sa gestion et de mieux répartir les prélèvements dans l'espace et dans le temps, estime Serge Lallier, directeur adjoint eau-environnement au BRGM, en prenant en compte les politiques de développement et d'aménagement du territoire, ainsi que les pratiques agricoles.
Il existe entre les différents usages de l'eau des conflits potentiels qui nécessitent une gestion équilibrée de l'environnement, telle que définit par l'article L 211-1 du code de l'environnement„issu de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992, que l'on a eu tendance à oublier.
Les antagonismes qui existeront, provoqués par la rareté de la ressource, nécessiteront entre ces différents usages, la mise en place de mécanisme d'arbitrage et de régulation qui posent à la fois la question de la propriété de l'eau et celle de son administration.
Or, de par sa nature, l'eau ne constitue pas un bien comme les autres, même si elle s'achète et se vend, tout en étant un bien collectif, en faisant partie du patrimoine commun de la nation, mais sans être la propriété de l'Etat.
Sa protection, sa mise en valeur générale et le développement de la ressource utilisable dans le respect des équilibres sont générales, et la loi ajoute, dans le cadre des lois et en vigueur.
Dans le cadre du réchauffement climatique la gestion des eaux souterraines risque, avec l'épuisement des réserves, de présenter des surprises.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef