Refonte du Code pénal sur la prescription des crimes et délits
Article lu 32277 fois, depuis sa publication le 01/04/2016 à 07:48:12 (longueur : 4885 caractères)
L'Assemblée nationale a voté le 10 mars, à l'unanimité, une proposition de loi sur la prescription pénale, élaborée par deux députés politiquement opposés.
Ce texte double les délais de prescription des délits et crimes, c'est-à-dire le temps entre une infraction ou un crime et le moment où l'on ne peut plus engager d'action en justice à l'encontre des individus mis en cause, mais présumés innocents.
Le nouveau ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, a apporté le soutien du gouvernement à ce texte qui, selon lui, propose un équilibre entre l'effectivité de la peine et le souhait qu'a la société d'être certaine d'être défendue, un équilibre entre la proportionnalité et le sens éducatif de la peine et la prévention de la récidive.
Les promoteurs de cette loi, qui pourrait être rapidement soumise à l'examen au Sénat, estiment le report de la prescription justifié par l'allongement de la durée de vie et les progrès de la police scientifique.
Pour les députés qui se sont succédé à la tribune pour expliquer leur vote, ce texte répond aux attentes d'une société qui donne aux victimes une place sans cesse croissante.
La prescription des délits et des crimes, fixés en 1808 par le Code Napoléon respectivement à 3 et à 10 ans est ainsi portée à 6 et à 20 ans, alors que la loi et la jurisprudence avaient multiplié les exceptions, voire les incohérences depuis les principes édictés à l'époque.
Pour le rapporteur qui est l'un des promoteurs de la loi, Alain Tourret, cette proposition de loi est sans doute le dernier texte que nous votons avant « l'imprescriptibilité », assumant ainsi explicitement la philosophie qui sous-tend la réforme.
La notion de l'imprescriptibilité des crimes conduit le rapporteur à assumer explicitement la philosophie qui sous-tend la réforme.
Le co-auteur de la loi, Georges Fenech ajoute : « La grande loi de l'oubli a perdu de sa force face aux nombreuses associations de victimes en capacité de maintenir durablement la mémoire des faits le dénonce une forme de déni de justice en raison de la prescription acquise. »
On est aux antipodes de la motivation de la prescription des infractions pénales qui du temps de Napoléon Bonaparte et encore longtemps après se justifiaient par la volonté de ne pas créer d'incertitude juridique, préjudiciable à l'ordre public.
Cette époque est révolue et, comme l'a exprimé une députée à la tribune de l'Assemblée Nationale, « Nous sommes des sociétés de mémoire, depuis quinze ans, nous multiplions les lois mémorielles sur à peu près tous les sujets ainsi que les journées commémoratives, nécessaires pour les victimes ».
En ajoutant : « Notre société considère que la mémoire est un droit et un dû, d'où, d'une certaine manière, ce texte sur la prescription l'affirme et le confirme.
C'est une façon de voir les choses qui n'est pas partagée par Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, qui déplore qu'on est une nouvelle fois en train de faire tomber sans réflexion des fondements de notre droit pénal.
Clarisse Taron s'inquiète d'une dérive qui, selon elle « n'a aucun sens » et elle s'en explique : Déjà, lorsque des procès correctionnels ou criminels en cours d'assise interviennent en appel dix ou quinze ans après les faits, ils débouchent bien souvent sur des peines symboliques ou des relaxations et acquittements, car le flou des souvenirs des témoins a jeté des doutes sur la culpabilité.
«Quel est le sens de la peine si longtemps après ? » s'interroge de son côté Véronique Léger, secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats, qui n'est toutefois pas opposée à cette proposition de loi, en faisant observer que la prescription était plus courte en France que chez certains de nos voisins.
N'oublions pas que toute procédure pénale comporte des aléas et, qu'à l'égard des victimes l'allongement du délai de prescription aggrave le risque de malentendu, par l'entretien des victimes dans l'idée qu'elles obtiendront forcément une réparation.
Or, plus le temps s'écoule entre le délit ou le crime et le moment du jugement est long, plus l'absence de condamnation est mal ressentie par les victimes.
En fait, les procédures sont déjà bien plus longues que ne laisse croire la prescription légale, qui n'est que théorique car le compte à rebours judiciaire est interrompu par tout acte de procédure.
Il faut attendre la publication de la nouvelle loi pour vérifier le maintien des anciennes exceptions comme pour les mineurs victimes de délits sexuels, où la prescription ne court qu'à partir de leur majorité.
C'est aussi le cas de l'étendue des infractions économiques et financières visées par la jurisprudence de la Cour de cassation et reprises par la loi et dont la prescription démarre une fois que l'infraction peut être constatée.
Erik Kauf
Rédacteur en Chef